Inspirations

№ 1

#partage

Le partage. Une attente qui va à l’encontre des schémas individualistes censés régir la société actuelle et qui, pourtant, n’en finit plus de remodeler ses modes de fonctionnement.

L’information ne vous aura sans doute pas échappée : nous vivons des temps difficiles. Faible visibilité sur l’avenir, menace sur le présent ; perte de repères et recul des valeurs… De quoi alimenter, il est vrai, tentations de repli sur soi et montée des individualismes. Comment expliquer, alors, que cette époque régulièrement décrite comme celle du chacun pour soi s’apparente aussi - et de plus en plus – à celle du partage ? Car c’est un fait : jamais la volonté de mettre en commun des connaissances, des idées, des services et des biens ne s’est manifestée avec autant de force dans toutes les sphères de la société. Comme si, alors que tous les voyants du vivre-ensemble viraient au rouge, le partage s’imposait en valeur refuge par temps de crise.

Pour Pierre-Louis Desprez, président de Chaos Consulting - agence spécialisée en innovation de marque - , le phénomène n’a rien d’étonnant. Pour l’expliquer, il y a d’abord la réalité économique, son cortège de restrictions et, pour des millions de Français, ce nouvel impératif « dépenser moins » qui, il y a quelques années, vient croiser des problématiques à la fois plus vastes et plus anciennes de saturation face à un mode de consommation effrénée et potentiellement toxique. Puis vient le désir de recréer du lien dans une société perçue comme toujours plus « déshumanisante » et, avec l’avènement des réseaux sociaux, la possibilité d’en tisser à l’infini. Et à l’arrivée, l’émergence de modes de vie et de consommation collaboratifs (co-voiturage ou co-working, mise en commun de dressings, de frigos ou de bibliothèques, partage ou échange de maisons…) qu’un Français sur deux pratiquerait aujourd’hui « non plus seulement par nécessité économique mais aussi par plaisir », souligne Pierre-Louis Desprez, pour qui la recherche de convivialité et de proximité constitue un ingrédient essentiel de cette tendance au partage.

Pierre-Louis Desprez, auteur de « La Marque », paru en 2013 chez Vuibert

Marketing émotionnel
et bonheur partagé

D’où l’empressement des marques à se l’approprier, que ce soit en adaptant leur discours ou, pour les plus audacieuses, en repensant certains éléments de leur offre. Ce que n’a pas hésité à faire Milka le temps d’une campagne intitulée « Le dernier Carré ». Lancée il y a deux ans, celle-ci permettait d’acheter une tablette de chocolat avec un carré manquant à offrir, via le site de la marque, à la personne de son choix. Du lourd en termes de production mais un sans faute en termes de message: « Milka, la marque généreuse qui appelle au partage… ». Imparable. Autre bel exemple de marketing émotionnel : Kleenex, dont la toute nouvelle campagne « kiss » exploite le même registre de l’attention portée aux autres en invitant ses utilisateurs à adresser un message d’amour à un proche – message ensuite diffusé sur des panneaux d’affichage digital – avant d’inciter celui-ci à essuyer ses larmes d’émotion avec un kleenex. Moins poétique mais également efficace : Buitoni et sa pizza « Fiesta », prédécoupée en douze parts pour inciter à la dégustation collective et bien sûr Coca qui, depuis des années, articule l’ensemble de sa communication autour du thème du partage.

Quel que soit le ton du discours ou la portée de sa mise en scène, l’essentiel, on l’aura compris, consiste à se bâtir une image de marque empathique, porteuse d’une promesse d’expérience collective, aussi brève soit-elle. « Une marque susceptible de réinjecter des instants de bonheur partagés » résume Cecilia Tassin, directrice associée en charge de la stratégie chez Blackandgold pour qui tout l’enjeu est là : « Recréer du lien dans un contexte qui, parce qu’il n’a jamais été aussi anxiogène sur le plan collectif, ne fait qu’amplifier le besoin de faire face ensemble au niveau individuel ». D’où les appels réitérés des marques à vivre non plus les uns contre les autres mais les uns avec les autres. Ne serait-ce que le temps d’une pizza.

Pécilia Tassin, en charge de l’observatoire de tendances « Le Décodeur »