Inspirations

№ 4

#colère

Le vent se lève. Alors que la colère gagne l’ensemble de la société française, les marques se voient contraintes de réinventer leur communication et de changer de ton. Salutaire.

Entre les partisans d’une Primaire des Citoyens, les militants de Nuit Debout, les pourfendeurs de la loi El Komry et les justiciers des Panama Papers, jamais la société française – d’ordinaire déjà peu connue pour sa docilité – n’est apparue aussi remontée. Aussi porteuse de revendications contestataires ; Aussi en colère. À l’origine de cette exaspération diffuse et de cette tension croissante, le « système » tout entier qui, à force de sur-promesses et de faux engagements, est devenu source de défiance et de ressentiment.

Pour Remi Oudghiri, Directeur de l’institut de prospective et de décryptage de signaux faibles Sociovision, rien de bien nouveau sous le soleil, si ce n’est l’ampleur du phénomène. « De tous temps, la France s’est montrée plus adepte de la fronde et de la contestation – voire d’une forme de violence politique qui nous vient de la révolution – que du dialogue social, explique-t-il. Voir cette même société aujourd’hui traversée de courants contestataires n’est donc pas nouveau. Ce qui l’est davantage c’est l’étendue de cette colère – qui transcende désormais les frontières géographiques et les catégories sociales – d’une part et sa portée, d’autre part ». Car pour lui, aucun doute : la dernière décennie a vu la traditionnelle propension à la critique enfler et se durcir jusqu’à se muer en un climat d’insurrection généralisée à l’égard de tout type d’autorité, que celle-ci soit politique, religieuse, financière, ou... marketing.

De l’adhésion à la suspicion

Raison pour laquelle, après des années d’impunité, la défiance et les attaques frontales n’épargnent plus les marques qui, de scandales sanitaires en tromperies sur leurs marges arrières, viennent désormais gonfler les rangs du « tous pourris » dans l’opinion collective. Preuve en est, un sondage récent révélant que plus de 70% des Français ne croient pas en leur engagement RSE. Dans ce contexte de suspicion aggravée, rien d’étonnant à ce que le sentiment de colère qui irrigue la société ne s’exprime plus uniquement dans la rue et par les urnes mais gagne nos modes de consommation, eux aussi entrés en dissidence depuis que le discours des marques tend à inspirer plus de suspicion que d’adhésion.

Résultat : tout comme les électeurs et citoyens expriment leur colère par des votes « anti-mainstream », on constate une fronde des consommateurs à l’égard de l’intelligentsia des grandes marques ; phénomène largement amplifié et alimenté par les réseaux sociaux qui, depuis quelques années, offrent une caisse de résonance rêvée aux critiques ouvertes, dénonciations et autres appels au boycott tout en favorisant l’émergence d’une offre alternative type Airbnb, Le Bon Coin, ou encore BlablaCar… Rémy Oudghiri confirme : « Tout ce qui s’inscrit dans ce mouvement d’ubérisation de l’économie, toute pratique collaborative est clairement une expression de cette exaspération et, pour le consommateur, une façon de reprendre le pouvoir sur les grande marques. Car derrière cette colère, il y a la volonté de voir émerger de nouveaux modèles». Nouveaux modèles économiques, certes, mais aussi marketing sous la forme d’un nouveau langage, « moins prescripteur et moins vertical, plus dans l’humour et l’engagement » résume-t-il. Exit, donc, les discours top-down des marques, les vérités assénées, la verticalité. Le marketing autoritaire ne fait plus recette ; Place à la connivence, à la transparence et surtout, au « rien à cacher »…seul antidote valable contre la colère du moment.

Les ressorts de la vertu
et de l’empathie

Les marques l’ont bien compris. D’où l’empressement de certaines –toujours plus nombreuses- à répondre à cette vague d’indignation en jouant la carte de l’exemplarité – transparence, traçabilité, éthique, respect du fournisseur… – ou, seconde option, en soufflant sur les braises avec un discours d’empathie du type : « Vous en avez assez de vous faire arnaquer ? Nous vous comprenons…» . Dans un cas comme dans l’autre l’ambition est claire : se démarquer du lot pour se placer du coté du consommateur. Une volonté tellement marquée aujourd’hui qu’elle incite de plus en plus de marques à recourir à la pratique de l’UX (User Expérience) consistant à penser un produit, un service ou un site de manière à optimiser l’expérience utilisateur. Autrement dit, en plaçant les attentes et besoins de celui-ci au cœur du processus de conception afin d’augmenter sa satisfaction lors de l’utilisation.

Premières à user de cette stratégie : les marques « exemplaires » au minimalisme étudié telles que Innocent – modèle du genre –, Michel et Augustin, La Ferme à Jules ou encore Les Deux Vaches qui s’emploient à restaurer du lien avec le consommateur en usant d’un packaging épuré, de logos enfantins et de recettes sans additifs. Objectif : rassurer et apaiser en jouant l’anti-sophistication et l’anti-« sur-promesse ». Autrement dit, estime Rémy Oudghiri, en renouant avec leur mission première consistant à « faire de la qualité au juste prix, sans produit trafiqué ni communication exagérée et surtout, avec constance ».